L’Équipe : Didier Codorniou, candidat à la présidence de la FFR : « Le rugby ne mérite pas ça »

Interview réalisée par : Matthieu Barberousse, Richard Escot, Jean-François Paturaud et Yann Sternis du journal l'Équipe.
Interview de Didier Codorniou par l'Équipe

L‘ancienne légende du quinze de France Didier Codorniou s’est lancée dans la course à la présidence de la FFR dans un contexte extrasportif terriblement agité. Il entend lancer un « plan Marshall » et restaurer plus de fermeté en équipe de France.

 

 

Chemise rose claire, veste foncée. Didier Codorniou est arrivé au siège de L’Équipe, hier, vers 10 heures. Accompagné de plusieurs membres de son équipe de campagne, dont l’ancien capitaine des Bleus Guilhem Guirado, le candidat à la présidence de la Fédération française (l’élection aura lieu le 19 octobre) a répondu durant une heure trente à nos questions.

 

 

L’ancien centre international aux 31 sélections, surnommé « le Petit Prince » durant sa carrière effectuée à Narbonne, Villefranche et Toulouse, a longuement expliqué pourquoi il avait décidé de se lancer dans la campagne face à Florian Grill, président sortant. Codorniou (66 ans), maire (PRG) de Gruissan depuis 2001, vice-président de la région Occitanie depuis 2017, dit vouloir notamment « réenchanter » le rugby français et « remettre de l’ordre » après un été marqué par les propos racistes de Melvyn Jaminet, la mise en examen pour « viol avec violence en réunion » d’Hugo Auradou et Oscar Jegou, mais aussi la disparition tragique du jeune Medhi Narjissi.

 

 

SON ENGAGEMENT

« Je discute avec tous les acteurs du rugby sans avoir d’ennemis »

 

« Pourquoi vous engagez-vous maintenant ?

J’ai joué au rugby de 8 ans à 36 ans et je n’ai jamais coupé mes relations avec ce sport. J’ai 66 ans, j’ai toujours travaillé depuis mes 18 ans, ma vie est faite. Mais là j’avais vraiment envie de rendre au rugby ce qu’il m’a donné. Je n’ai pas besoin de la lumière. J’ai le sentiment que le rugby est abîmé par les affaires. Il y a eu celles de Bernard Laporte, celles de cet été. C’est peut-être le moment où je peux utiliser ma notoriété, mon image, mes connaissances et mes réseaux pour rendre le rugby un peu meilleur.

 

Certains vous accusent d’être téléguidé par l’ancien président de la FFR Bernard Laporte…

Ils ont laissé entendre ça, mais pas du tout. Je ne suis pas instrumentalisé, je suis un homme libre. Je connais Laporte, mais je n’ai jamais travaillé avec lui. Je suis beaucoup plus proche d’anciens internationaux comme Jo Maso, Serge Blanco ou Jean-Claude Skrela. Tout n’est pas mauvais dans le bilan de Laporte. Pour les affaires, je laisse la justice se prononcer. Mais ce qui m’importe c’est de sortir de ces guerres fratricides pour apporter un autre regard. Je discute avec tous les acteurs du rugby sans avoir d’ennemis. Je constitue mon équipe avec des gens engagés comme Guilhem Guirado, quelqu’un d’authentique qui a montré son sens des responsabilités. Je serais stupide de ne pas prendre les soutiens des présidents qui avaient soutenu Laporte comme de ceux qui avaient soutenu Florian Grill, d’ailleurs, comme Pierre-Yves Revol. Le président de Castres, qui avait soutenu Grill, a basculé avec moi par exemple.

 

LE BILAN DE FLORIAN GRILL

« Il a un pouvoir très vertical »

 

Vous avez jugé que « tout n’est pas mauvais » dans le bilan de Laporte. Est-ce que vous diriez la même chose de celui de Florian Grill ?

On ne peut pas dire qu’il soit très positif. Malheureusement, il y a eu toutes les affaires qui ont entaché l’image du rugby, ce n’est pas moi qui le dis, mais 70 % des Français selon un sondage récent (1). Quand je vois les états généraux qui ont suivi, cela manque de transparence. Ce n’était que de la communication et le monde des amateurs a été totalement oublié. Florian Grill parle beaucoup de transparence et il en manque sur beaucoup de sujets : les finances, l’éthique, et d’autres… Le pouvoir doit être partagé. Il a un pouvoir très vertical, moi je suis sur une conception beaucoup plus horizontale, le partage et l’écoute. En termes de traitement des dossiers de l’été, on peut dire que le président actuel de la Fédération n’a pas été à la hauteur.

 

Florian Grill vous a publiquement proposé un débat télévisé pour confronter vos deux programmes. Quelle est votre position ?

Je n’ai pas eu ce contact avec Florian. Ce qui m’importe c’est d’être au coeur du rugby, de rencontrer les présidents, de leur parler de notre programme et d’arriver à les convaincre, car je veux gagner et bien gagner.

 

Vous écartez donc ce débat ?

Je ne sais pas en quoi peut consister un débat. On n’est pas dans une campagne américaine. Le rugby, ce sont les fondamentaux, comme lors des rencontres dans les quartiers.

 

SON PLAN MARSHALL

« Entre 400 et 500 équipements doivent être remis aux normes »

 

Vous parlez de lever 120 millions d’euros. Comment comptez-vous vous y prendre ?
Plus je me plonge dans le rugby amateur, plus je vois qu’il est en pleine dégringolade. Il y a de moins en moins d’équipes qui jouent au rugby à XV. Il n’y a plus de terrains. Les équipes sont obligées de faire 20 ou 30 km pour s’entraîner. Si on veut faire venir 20 000 jeunes, ce qui est notre programme, il faut que les infrastructures soient remises aux normes et rénovées. La Fédération doit faire des démarches nouvelles, aller voir l’État, l’agence nationale du sport, les collectivités, les régions qui ont des capacités d’investissements sur des infrastructures et gèrent des fonds européens. Ce sont entre 400 et 500 équipements qui doivent être remis aux normes.

 

 

Compte tenu de l’état des finances publiques, compter sur un investissement de l’État et des régions ne comporte-t-il par un risque ?

Soit il y a une écoute et des moyens, soit il n’y en a pas et, effectivement, ce sera un échec. Mais j’ose espérer qu’il y en aura, j’en ai déjà parlé à des ministres et anciens ministres. Même un ancien Premier ministre, Jean Castex, avec qui je suis ami et qui porte un regard bienveillant sur notre campagne.

 

 

L’état des finances de la FFR vous inquiète-t-il ?

Non. J’ai demandé le grand livre pour avoir une analyse plus fine sur les grands équilibres. La FFR a 50 M€ de fonds propres, de la trésorerie, estimée à 68 M€. Elle a des acquis, notamment sur les valeurs immobilières, qui représentent 110 M€ (2). Après, effectivement, entre le GIP et le GIE, c’est là où il y a un déficit structurel. Mais on ne peut pas dire que la FFR est en faillite. Ce discours est très dangereux pour les partenaires. Certains sont en train de partir, notamment des historiques, comme GMF. La fragilité les a peut-être incités à s’en aller. Comment voulez-vous que les nouveaux, des gros partenaires avec une robustesse financière, viennent à la FFR quand on tient un discours où tout va mal ?

 

 

L’ÉTÉ DRAMATIQUE

« On n’a pas respecté le maillot, le Coq, la France »

 

Le rugby a longtemps capitalisé sur son image qui est désormais dégradée, pensez-vous que le rugby soit aujourd’hui en danger ?

Ne jetons pas l’opprobre sur tous ces licenciés, ces présidents de club, ces bénévoles, qui oeuvrent au rugby du quotidien. L’image s’est dégradée suite à ces histoires où on n’a pas respecté le maillot, le Coq, la France. C’est là où on a failli. Il y a eu des manquements sur l’accompagnement de l’équipe de France. J’ai fait une dizaine de tournées, je sais comment ça se passe. Si vous n’avez pas un chef de liaison, un directeur de tournée, un vice-président de la FFR…

 

Concrètement, qu’aurait-il fallu changer en Argentine ?

Déjà, avoir ces trois postes, qui n’y sont plus.

 

Jean-Marc Lhermet, vice-président en charge du haut niveau, aurait-il dû partir avec les Bleus dès le 26 juin ?

Je crois, oui. Il a fait le choix d’être au congrès (de la FFR). Abdelatif Benazzi est aussi étrangement absent, il est apparu depuis quelques jours au sujet de World Rugby… C’est bien qu’il puisse se positionner. Attendons quand même le 19 octobre.

 

Plus que celle de Florian Grill et Jean-Marc Lhermet, n’est-ce pas plutôt la responsabilité du sélectionneur Fabien Galthié qui est engagée sur cette tournée ?

Dès qu’il y a une enquête, un dépôt de plainte, la justice doit faire son travail. En tant qu’élu, j’ai aussi eu à faire à la justice et je suis très mesuré (…) Sportivement, mon problème n’est pas Galthié. C’est un très bon entraîneur qui a déjà fait ses preuves. Mais il a besoin d’avoir une personne au-dessus pour prendre des responsabilités, le protéger et que la maison France soit plus étanche pour être plus concentrée. Elle a besoin d’être mieux gouvernée, consolidée, plus surveillée.

 

Mais comment est-ce possible que des internationaux, au milieu d’une tournée à trois matches, puissent se retrouver ivres en pleine nuit ?

Ce n’est pas normal. Restaurer l’autorité, c’est prendre nos responsabilités et, par moments, sanctionner. Que les sanctions soient graduelles en fonction de ces éléments. Il faut travailler sur ces éléments lors des assises nationales du rugby que nous voulons organiser sur huit samedis. Tous les thèmes seront évoqués sans tabou, la santé, l’alcool, la drogue, les commotions – un autre sujet d’importance.

 

Vous avez déclaré, concernant Melvyn Jaminet, que la FFR l’avait sanctionné trop vite. Mais n’aurait-elle pas été critiquée pour sa lenteur dans un tel cas si elle avait pris son temps ?

J’assume ce que j’ai dit. Il s’avère que je connais Melvyn Jaminet. Je me suis permis de dire ça à son sujet parce qu’il y avait une accélération sur le dépôt de plainte et que j’avais certains retours. C’est souvent intéressant de prendre du temps avant de prendre une décision qui peut être radicale. Surtout que derrière ça, il y a l’aspect psychologique du joueur. Son passage à Toulouse ne s’était pas bien passé. Il est revenu à Toulon avec, je crois, une fragilité. Il s’est cherché, il a douté. Il est parti en tournée avec l’équipe de France et effectivement en troisième mi-temps, avec des copains, il a prononcé des mots inadmissibles, des propos racistes. Je persiste à penser que Jaminet n’est pas raciste. Je mesure la gravité des propos.

 

Ce sont des propos racistes…

Je sais qu’il a des amis maghrébins…

 

Des responsables politiques d’extrême droite ont déjà utilisé ce genre d’argument pour se défendre de racisme…

Vous savez, je suis immigré espagnol, quand j’étais très jeune à Gruissan, j’avais une tante qui avait des difficultés pour parler le français. On nous disait qu’on était illettrés et on nous traitait de sales Espagnols. Je suis un homme engagé, de gauche, qui défend les valeurs de la République. Vous comprenez bien que je ne peux pas être en phase avec ces propos racistes. Je ne parle pas des propos mais de la personnalité de Jaminet. Après, il y aura un jugement.

 

Toujours au sujet de Jaminet, vous avez récemment indiqué être « prêt à revoir sa peine » (34 semaines de suspension) si vous êtes élu. Est-ce le rôle d’un président de la FFR, alors que la sanction a été prononcée par une commission de discipline de la FFR ?

Je suis prêt, en fonction de ce qui va se passer sur le plan juridique (3), à voir si effectivement la peine peut être ou non atténuée. Il n’est pas question de dire : « Je l’enlève, je passe sous silence. » Bien au contraire. L’heure est trop grave avec cette montée des extrémismes que je combats tous les jours depuis vingt-cinq ans. Aujourd’hui, j’ai mal au rugby. Le rugby ne mérite pas ça. Je crois à ce discours de mobiliser les gens, de les apaiser et de les rassembler.

 

Au sujet d’Hugo Auradou et Oscar Jegou, toujours mis en examen pour « viol avec violence en réunion » et qui ont déposé une demande de non-lieu, vous dites qu’ils ont « abîmé l’équipe de France ». Que voulez-vous dire ?

Ils ont sali le maillot. On en revient au vivre-ensemble et au respect des règles. C’est inadmissible que des joueurs rentrent bourrés et créent du désordre à la maison équipe de France.

 

Même en cas d’abandon des charges de la part de la justice argentine, vous demanderiez donc des sanctions si vous êtes élu ?

Oui, il peut y avoir des sanctions graduelles en fonction des éléments. C’est pour ça qu’il est intéressant d’avoir des commissions avec des juristes afin de mettre en place un système connu de tous et sensibiliser les joueurs.

 

Pour aller au bout de votre raisonnement, il faudrait donc sanctionner tous les joueurs qui sont rentrés saouls lors de cette tournée ?

Il faut remettre de l’ordre. Il y a trop de dérapages. Ça dure depuis trop longtemps, je ne parle pas que de la tournée en Argentine. Quand on soulève trop le tapis, comme dit Florian Grill, il faut faire attention car on peut se prendre les pieds dedans et tomber.

 

L’été a également été marqué par la disparition tragique de Medhi Narjissi alors qu’il était avec l’équipe de France des moins de 18 ans en Afrique du Sud. En quoi un président de la FFR est-il responsable et qu’aurait-il pu faire pour que ce drame soit évité ?

En tant que président, on subit ce qui se passe. On essaie de savoir ce qui s’est réellement passé dans cette tragédie, on assume la responsabilité. J’ai vécu chez moi des drames avec des accidents mortels de jeunes gosses. On n’est pas formés pour ça. Après il y a l’emballement médiatique, le dépôt de plainte et les conséquences de tout ça. Il y aurait pu avoir une interruption de la campagne. »

(1) 64% des Français et 72% des amateurs de rugby, sondage Odoxa du 7 septembre pour Winamax et RTL.

(2) Ces chiffres sont faux, a indiqué à l’Équipe, la gouvernance en place. La FFR a 30 millions de fonds propres. Par ailleurs, dans la trésorerie, il y a 40 millions d’euros qui sont gérés par la FFR pour le fonds de garantie d’assurance des grands blessés mais qui n’appartiennent pas à la Fédération. C’est donc faux de dire qu’il y a 68 millions de trésorerie. Pareil pour ce montant des valeurs immobilières qui est totalement faux.

(3) SOS Racisme a déposé plainte contre l’international français et le parquet de Paris a ouvert une enquête.

Propos Recueillis par Matthieu Barberousse, Richard Escot, Jean-François Paturaud et Yann Sternis, pour le journal l’Équipe.